mardi 20 mai 2025 à 21:37
Dans le cerveau humain, le prix ce n’est pas qu’un chiffre. C’est une émotion codée, une sensation. Et parfois, une tromperie bien ficelée. La science cognitive a montré que notre cerveau ne lit pas un prix comme une information brute, mais comme un signal de valeur. Et c’est là que ça devient croustillant, car le prix n’indique pas ce que vaut le produit, mais ce que la marque veut te faire croire qu’il vaut.
Prenons l’étude fondatrice de Thomas et Morwitz (2005), toujours citée aujourd’hui. Les prix qui se terminent par .99 sont perçus comme moins chers, même s’ils ne le sont pas. Oui, même si tu as un Bac+5. Ce n’est pas une question d’intelligence, c’est une question d’ancrage visuel. Un prix à 3,99€ est perçu comme étant plus proche de 3€ que de 4€, alors que tu sais très bien que 3,99, c’est quasi 4. Bienvenue dans la magie noire du pricing.
Mais attention, le diable est dans les décimales. Et le marketing raffole du diable.
Commençons par le bas de l’échelle. Pardon, l’entrée de gamme. C’est comme ça qu’on dit chez les CM corporate. Ici, le but n’est pas d’être perçu comme chic ou exclusif, mais comme compétitif, malin, rentable.
La stratégie ? Des prix ultra précis, à des 3,87 €, 7,23 €, 5,41 €. C’est laid, mais efficace. Car cette précision extrême donne l’impression d’un calcul hyper rigoureux, comme si le prix avait été taillé au scalpel par un data scientist.
Shein (boycott boycott boycott) est le roi de ce jeu. Un prix à 2,37€ donne l’illusion que la marge a été limée à l’os, que tu fais une affaire millimétrée. Une étude menée par MIT Sloan en 2022 démontre que les prix en apparence “calculés” génèrent +12 % de confiance chez les consommateurs en ligne. Et Shein ne se gêne pas pour exploiter ça à la virgule près.
Autre exemple, AliExpress ou certaines catégories de produits Amazon, notamment ceux avec une provenance chinoise. Les prix en 2,84€, 6,72€ pullulent. Il ne s’agit pas d’une erreur, c’est un code discount international. Ton cerveau interprète ça comme une offre « optimisée ».
Quant à Decathlon, sur ses produits à moins de 10€, la marque joue aussi avec cette logique (ex une casquette à 3,27€, un maillot à 7,49€, un kit de muscu à 19,93€ etc).
Dans le segment intermédiaire, c’est ce qu’on appelle le mass market chic, où le pricing devient plus subtil. On cherche à rassurer sans faire cheap, à séduire sans exclure.
Zara par exemple (boycott aussi), termine la plupart de ses prix par .95 (15,95€, 29,95€, 39,95€). Pourquoi pas 99 ? Parce que .95 paraît plus raffiné. Moins “promo Cora”, plus “design accessible”. Une étude Nielsen (2023) démontre que les prix en .95 sont mieux perçus que ceux en .99 dans les marques aspirational.
H&M a longtemps joué la carte du .99, avant de lisser progressivement ses prix vers des terminaisons plus propres, notamment sur ses gammes “Conscious” ou collaborations créateurs. C’est une manière de rehausser la valeur perçue sans modifier le fond.
Naf Naf, au contraire, assume pleinement ses prix en .99. 29,99€, 59,99€, 79,99€. Car la marque a intégré la promotion dans son ADN. Elle fait des soldes toute l’année. Donc autant embrasser l'effet “bon plan” jusqu’au bout. Ce qui est intéressant, c’est que dans un panel IFM (2023), les clients de Naf Naf déclarent préférer un .99 à un .95, car “ça fait vraiment réduction”. Comme quoi, le cerveau s’adapte à la marque.
Là, on entre dans un autre monde. Les centimes ? Inexistants. Ou s’ils apparaissent, c’est que quelqu’un va perdre son job au marketing.
Louis Vuitton, Chanel, Dior affichent des prix ronds, nets, silencieux. 1000€, 4200€, 560€. Mais why ? Parce qu’ils ne veulent surtout pas que tu penses “prix”. Ils veulent que tu penses “valeur”, “statut”, “expérience”.
Selon une recherche menée par Harvard Business Review (2021), les prix ronds dans le luxe réduisent l’activation du cortex préfrontal, ce qui diminue l’effet de comparaison. Tu n’achètes pas une montre à 14 723€, tu achètes une montre à 15 000€. Et c’est très bien comme ça. Le luxe veut effacer l'effort cognitif, pas l'encourager.
Rolex pousse même plus loin. Dans certaines campagnes, le prix n’est pas affiché du tout. Le silence devient un argument. Parce que dans le luxe, si tu demandes le prix, c’est que tu ne peux pas te le permettre (c’est que t’es pauvre). Brutal, mais c’est efficace.
Apple, dans sa stratégie haut de gamme, fait parfois exception. De temps à autre on retrouve du 999€ ou 1299€ sauvage. Mais c’est volontairement calibré pour rester sous un seuil psychologique (1000€ paraît bien plus cher que 999€, malgré les 1€ de différence). C’est du luxe démocratique, et donc du pricing hybride.
Tu crois que tu choisis. Mais en fait, ton cerveau est piloté par des biais psychologiques depuis le moment où tu ouvres un site e-commerce. En voici quelques-uns que les marques adorent manipuler :
Effet de seuil : 999€ semble mentalement plus proche de 900€ que de 1000€.
Effet d’ancrage : si on t’affiche d’abord 129€, puis 89€, tu penses faire une affaire. (même si le produit a toujours coûté 89€ jeune pigeon).
Effet de rareté : “Plus que 3 en stock” augmente les conversions de 17 % selon Shopify.
Effet de charme : une offre à 19,95€ semble plus “étudiée” qu’un prix rond, donc plus honnête.
Effet de cadrage : un t-shirt à 12,95€ paraît premium sur Shein, mais ultra cheap sur le site de Dior. Le contexte fait tout.
Et tout cela est mesuré, testé, optimisé. Une étude menée par Price Intelligently en 2024 démontre que le simple changement de terminaison d’un prix (.99 → .95) peut faire varier la perception de qualité de +28 %.
On ne choisit pas un prix “au hasard”. On design un prix comme on design un logo. Il doit parler à l’inconscient du client. Il doit refléter ton ADN de marque.
Une marque comme Primark, par exemple, affiche des prix ronds (10€, 12€, 16€), sans .99 ni décimales, parce qu’elle ne promet rien. Elle vend “à ce que ça vaut”, sans storytelling. Pas de blabla, et ça fonctionne, car ça colle à leur image.
À l’inverse, Zara use du pricing comme d’un outil narratif, entre .95 et 29€, les prix racontent une mode chic mais accessible, un luxe approchable, presque démocratique. Mais jamais cheap. Et ça, c’est millimétré.
Chez Lidl, tu as du 2,13€, du 6,47€, du 1,79€. Parce que Lidl veut matraquer la promesse du “moins cher du marché”. Le prix devient un argument de guerre, aka “c’est moi le plus cheap de tous”.
Le futur du pricing ne se jouera plus dans une salle de réunion PowerPoint, mais dans un algorithme d’optimisation dynamique.
Des plateformes comme Amazon, Uber ou Booking adaptent déjà leurs prix en temps réel selon la demande, la météo, ton historique d’achat, et même ton appareil utilisé. (oui, tu paies souvent plus cher depuis un iPhone. Parce que tu peux).
Des outils de dynamic pricing permettent d’ajuster à la minute près les prix les plus rentables. Et demain, tu verras peut-être un prix différent de ton voisin pour le même produit, selon ton profil d’acheteur.
Maaaais gare à l’effet pervers : une étude menée par Capgemini (2023) révèle que 72 % des clients rejettent les marques qu’ils soupçonnent de faire du pricing différencié abusif. L’avenir devra donc arbitrer entre ultra personnalisation et éthique perçue.
Tu crois acheter à 29,95€ ? En réalité, tu achètes une promesse, un statut, une narration. Et parfois, un joli petit mensonge bien calibré.
Alors la prochaine fois que tu vois un .95 ou un 1,83€, rappelle-toi que ce n’est pas un prix, c’est un message codé. Et tu viens de le décrypter. Après c’est pas comme si tu pouvais y faire quelque chose.
Chez Pinstrap, nos prix varient en fonction de ton chiffre d’affaire sur Pappers. On rigooole. Ou peut-être pas.
Co-fondatrice de Pinstrap. J’aime les pixels bien placés, les mots bien sentis, et les concepts qui laissent une trace (dans la tête, pas dans l’atmosphère). Dotée d'un humour indéniablement violent, je vulgarise les sujets complexes pour que chacun, même le plus éclaté, comprenne les sujets relatifs à la com'/ marketing/ design/ tech etc. En gros je vous facilite la vie et vos projets de fac ou d'école de commerce.