vendredi 16 mai 2025 à 18:21
À l’heure où nos cerveaux saturent de pop-ups, de carrousels, de bannières « engageantes » et d’animations plus épileptiques qu’élégantes, les marques les plus malines ont trouvé un biais plus subtil. Le sensoriel. Là où le message frontal échoue, la sensation s’infiltre. Là où le contenu crie, l’ambiance suggère. Et tout cela n’a rien d’un délire new-age. Le marketing sensoriel est une discipline mesurée, traquée, quantifiée et redoutablement efficace.
Selon l’Ifop (2024), 78 % des consommateurs déclarent « se souvenir d’une marque via une sensation » bien plus que via un slogan. Autre chiffre, où une étude menée par l’université de Cologne en 2023 montre que l’ajout d’une stimulation sensorielle (son, odeur, texture) augmente l’intention d’achat de +30 % en moyenne. Voilà pourquoi les enseignes de prêt-à-porter diffusent discrètement de l’ambre boisé, pourquoi certains sites web déclenchent un son doux à l’ouverture d’une section, et pourquoi un packaging texturé est plus souvent conservé que recyclé. Ce n’est pas du hasard : c’est de la mémoire programmée.
Dans une époque saturée de messages et de sollicitations, le cerveau humain devient naturellement sélectif. Il rejette ce qu’il ne peut pas ressentir. Le marketing sensoriel n’est donc pas un artifice. C’est une contre-attaque lente, mais précise, et le web sensoriel n’est pas du futur. Il est déjà là, mais il nous susurre à l’oreille.
Il y a quelques années encore, construire une identité de marque se limitait souvent à une belle charte graphique et un ton de voix travaillé. Aujourd’hui, et bien ça ne suffit plus. Parce que l'œil, seul, n’a jamais convaincu un cerveau. Il faut du son, du grain, du volume. Il faut faire appel aux 4 autres sens — ceux qu’on oublie dans les pitch decks, mais que le corps humain ne désactive jamais.
Prenons le cas du sound branding. Netflix, en 2025, continue de protéger juridiquement son iconique « ta-dum » sonore, qui génère à lui seul une reconnaissance instantanée chez plus de 93 % des utilisateurs interrogés dans une étude Nielsen. Même chose pour Mastercard, dont la nouvelle signature sonore, développée pour les points de vente physiques et le digital, a augmenté de 8 % la réassurance client lors d’un achat sans contact. Ce n’est pas un jingle. C’est un outil de conversion.
Et que dire du toucher pardi ? Sur un site, on pourrait croire ce sens inactivé. Et pourtant. Le web tactile existe bel et bien. Pas au sens physique, mais via le design visuel de la matière : un effet de grain, de tissu, de papier brut, utilisé dans les interfaces ou les packagings numériques, active la mémoire haptique du cerveau. Une étude menée par Adobe UX Lab (2023) révèle que les interfaces web qui simulent une texture (ombre portée, micro-grain, flou directionnel) déclenchent +17 % de temps d'exploration supplémentaire. Comme si le cerveau essayait inconsciemment de “toucher avec les yeux”. Oui, c’est chelou. Mais surtout, c’est puissant.
Et puis, il y a l’odorat. Le grand oublié du digital. Une vraie victime du système. Pourtant, certaines marques ont trouvé des moyens brillants de le mobiliser. Lush ou encore certaines marques de presse papier utilisent le marketing olfactif dans les packagings, les lieux physiques, ou même dans certaines livraisons (ex impressions parfumées). C’est sensoriel, certes, mais c’est surtout stratégique. L’odeur ancre une émotion. Et l’émotion ancre l’achat.
La grande question reste : peut-on faire du sensoriel dans un monde 100 % digital ? La réponse tient en deux lettres : UX. Une UX bien pensée est une UX sensorielle. Pas besoin de sortir des synthés ou de diffuser de la lavande par écran interposé. Il s’agit de penser l’expérience comme un flux de sensations.
Des micro-interactions bien placées, un feedback visuel léger (un bouton qui pulse doucement quand on le survole, une animation qui ralentit au scroll) activent la mémoire kinesthésique. On parle ici de sensations liées au mouvement, qui améliorent la compréhension du contenu et augmentent les conversions. Un test mené par Baymard Institute (2023) montre que les parcours utilisateurs intégrant une dynamique sensorielle subtile (scroll progressif, bruitages contextuels, teintes évolutives) augmentent de 22 % le taux de clic sur call-to-action.
Le sensoriel digital, c’est aussi le contraste visuel, la gestion des blancs, l’ombre et la lumière. Des notions simples, mais négligées. L’usage d’une palette analogue douce, d’une typographie aux courbes légèrement irrégulières, ou d’un mode sombre activable à volonté, ce sont autant d’outils sensoriels… codés en CSS.
Même le dark mode est un outil sensoriel (on est visionnaires hihi) : il réduit la charge lumineuse, facilite la lecture nocturne, et donne une impression de confort. Selon une enquête menée par UX Planet (2024), près de 61 % des utilisateurs passent en mode sombre non pour l’esthétique, mais pour des raisons de “sensation visuelle plus agréable”. Bah oui le light mode ça agresse les yeux.
Certaines marques ont compris que le sensoriel, c’est ce qui reste quand le message est oublié, et elles en font donc une stratégie à part entière. Prenons le cas de Rhode, la marque de skincare fondée par Hailey Bieber. L’un de leurs produits phares — les gloss — a été massivement promu par le biais de vidéos ASMR, de textures hyper visuelles, de sons doux à l’application. Car non, personne ne peut tester un gloss en scrollant. Alors il faut le faire ressentir autrement. Résultat ? Un magnifique taux de rétention publicitaire supérieur à 42 % sur les formats courts selon WGSN (2024), et un pic d’ajout au panier de +29 % après une campagne sensorielle immersive. C’est du skincare qu’on ne touche pas… mais qu’on ressent déjà.
Autre cas emblématique : Lush, of course. Magasins bruyants, couleurs explosives, textures apparentes, senteurs diffusées dans un rayon de 20 mètres. C’est agressif ? Un peu. Mais ça fonctionne. Selon Euromonitor (2023), Lush est la seule marque cosmétique à convertir jusqu’à 43 % de ses visiteurs physiques en acheteurs, sans aucun test gratuit. Pourquoi ? Parce que tout a déjà été perçu.
Plus subtil mais tout aussi brillant : Le Labo (obsession du moment j’en parle partout). La marque de parfumerie new-yorkaise ne vend pas un parfum. Elle vend une sensation. Packaging kraft rugueux, étiquettes typées imprimerie industrielle, flacon lourd à l’ouverture sèche, odeur complexe. Même la police de caractère est sensorielle. Rien n’est laissé au hasard. En résultat on obtient une expérience si mémorable qu’elle crée une forme de “branding olfactif post-physique”. Tu sens Le Labo, tu le reconnais. Pas besoin du logo.
Et puis, il y a Hermès. L’art de ne rien dire, mais de tout faire ressentir. L’univers graphique est feutré, la matière est reine (cuir, soie, papier texturé). Le son ? Aucun. Le silence est leur branding sonore. Hermès joue l’ultra-maîtrise du sensoriel, celui qui laisse l’imaginaire faire le travail. On obtient donc une fidélité à 5 ans deux fois supérieure à la moyenne du secteur luxe (étude Bain & Co, 2024).
Créer une marque sensorielle ne veut pas dire ajouter une odeur vanillée à chaque produit ni diffuser un jingle au moindre clic. Le vrai marketing sensoriel commence par une chose simple : connaître le corps de son audience. Pas son cœur, son corps.
Quel est son environnement ? Est-il en open space ou dans un train quand il voit ta pub ? Est-il en train de scroller le soir dans le noir ? A-t-il le temps d’écouter ou juste de ressentir ? Toutes ces questions vont déterminer comment déclencher une sensation au bon moment.
Une DA peut être sensorielle si elle parle d’émotion plus que d’image. Une expérience utilisateur peut l’être si elle propose des variations (sons, feedback, animation) pensées comme des respirations. Et une charte peut devenir sensorielle si elle s’autorise à ne pas séduire, mais à imprégner.
Et la vraie question n’est donc pas « quelle couleur pour ma marque ? » mais « quelle sensation doit-elle provoquer sans que j’aie besoin de parler ? ».
Chez nous, Agence Pinstrap de bg, on ne cherche pas à vous faire “entendre” votre marque. On veut que vos utilisateurs la sentent, la vivent, l’associent à quelque chose de profond, de flou parfois, mais inoubliable. Parce qu’un scroll peut s’oublier alors qu’une sensation, jamais.
Co-fondatrice de Pinstrap. J’aime les pixels bien placés, les mots bien sentis, et les concepts qui laissent une trace (dans la tête, pas dans l’atmosphère). Dotée d'un humour indéniablement violent, je vulgarise les sujets complexes pour que chacun, même le plus éclaté, comprenne les sujets relatifs à la com'/ marketing/ design/ tech etc. En gros je vous facilite la vie et vos projets de fac ou d'école de commerce.